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Campagne électorale - Communales  2018 - Michel Berhin
Campagne électorale - Communales  2018 - Michel Berhin
2 mars 2018

Quand remplir son assiette devient un geste politique

Le texte qui suit est repris d'une interview accordée au journal "POUR écrire la liberté"
La version originale est d'ailleurs toujours en ligne. Merci Godelieve Ugeux.

Michel Berhin avait quelques idées derrière la tête quand il a accédé à sa prépension d’enseignant.
Quand le «fabriquer soi-même» crée un modèle de comportement alternatif et collaboratif pour résister à la civilisation consumériste!

Ils ont dû être étonnés vos collègues de votre passion pour le fromage?

La prépension ouvre des possibilités d’occupation qui permettent d’aller vers ce qui tient à cœur. Quand je regarde les nouveaux engagements que j’ai choisi de prendre, ce n’est pas sans lien avec l’intuition de l’enseignement d’où je viens. On aide les gens à apprendre et à se réaliser. Et on a besoin pour cela de les nourrir. L’arrivée de la prépension se passe de diverses manières et le choix de ce qu’on met dans son assiette, à 59 ans, m’est apparu comme un choix politique. Les engagements vers lesquels je vais, c’est la qualité de vie, de nourriture, dans une société plus responsable notamment par le fait de poser des choix durables.

Un choix qui va au-delà de votre propre alimentation ou celle de votre famille?

Un choix personnel mais aussi collectif dans la mesure où aujourd’hui on est inévitablement dans des choix collectifs participatifs. J’ai travaillé 20 ans dans le domaine des nouvelles technologies et ce qui émerge aujourd’hui, c’est le côté collaboratif des choses. En politique c’est pareil, on ne fera rien sans la participation des citoyens. Or, inévitablement, la plus grande partie des politiques sont englués dans des intérêts économiques au niveau mondial. La réponse à laquelle moi je peux participer, c’est la mise en place de réseaux locaux engagés.

Comment vos premiers engagements se sont-ils concrétisés?

De longue date, j’ai mis en place un potager qui a connu des hauts et des bas. C’était aussi fonction de la restauration de ma maison, de l’arrivée des trois enfants, et d’un changement professionnel qui m’obligeait à des navettes de longue durée. Mais le souci de la qualité de ce qu’on mange vient de mon jardin. C’est d’abord très pratico-pratique, et facilite les choses de fournir par soi-même ce qu’on mange.

L’envie de faire du fromage est venue plus tard, au détour d’une situation répétée, à savoir les inaugurations et les journées «porte-ouverte» de nombreuses fromageries artisanales en Wallonie que j’ai accompagnées au son de ma cornemuse. Et ce, tout simplement parce que dans le groupe où je jouais se trouvait un maître fromager. Cela m’a introduit à une réalité qui m’a interpellé: est-ce difficile de faire du fromage? Plus difficile que de la confiture? Et j’aime les défis d’apprentissage!

Vous vous êtes lancé comme ça! Spontanément et tout seul?

Pendant un an et demi, j’ai fait du fromage en me documentant sur internet. Le résultat était correct, mais impossible d’obtenir deux fois la même chose. Visiblement, il y avait trop de variables à surveiller, autant pour le fromage frais (maquée) que pour le fromage en boule. A l’arrivée de la prépension, j’ai décidé de poursuivre cette passion en me mettant à l’école d’un formateur. Il n’y a pas de savoir complexe sans transmission structurée! Durant mon écolage, j’ai bénéficié de rapports étroits avec certains fromagers expérimentés. J’ai vraiment eu l’impression de très vite intégrer une corporation, même si je n’étais pas professionnel. En tout cas, au niveau de la compréhension des enjeux du métier et des retombées pour le consommateur, j’ai pu me rendre compte que la production de fromages qui gardent toute la spécificité du lait cru avec lesquels on les fabrique, c’est fondamental.

La fabrication du côté producteur, la sélection du côté consommateur, ce sont vraiment des choix politiques pour une qualité de vie. C’est un partenariat producteur-consommateur que je trouve important. C’est pourquoi j’ai commencé d’abord par m’inscrire dans le convivium namurois du mouvement Slow Food qui promeut le bon, le proche et le juste (prix au producteur) dans les circuits alimentaires. Cela m’a amené ensuite à m’intéresser de plus près aux inquiétudes du secteur fromager au lait cru, au point de participer à la mise en place d’un groupement d’intérêt économique, véritable association professionnelle dans laquelle je suis un des seuls non producteurs professionnels.

Ancien enseignant et formateur, j’aurais pu basculer à l’âge de la prépension dans le bénévolat en alphabétisation ou école de devoir. Mais intéressé par la qualité de ce qu’on met dans nos assiettes, j’ai plutôt choisi cet investissement plus inattendu! De plus, avec les fromagers, je milite aujourd’hui auprès de l’AFSCA pour qu’on redécouvre la spécificité du lait cru dont on ne présente quasi jamais (toujours) que la soi-disant dangerosité. Dans une société qui prétend au risque zéro, on développe aujourd’hui des attitudes sécuritaires en dépit du bon sens. De même qu’on ne vit pas plus en sécurité avec un policier dans chaque rue à l’heure du terrorisme, de même on ne court pas moins de risque alimentaire en sacrifiant à l’hygiénisme! Il y a même plus de risques à voir se développer les accidents sanitaires sur du lait pasteurisé. Tout le contraire de ce que la médiatisation ambiante met en avant.

Mais que désigne-t-on exactement par «lait cru»?

Michel Behrin fromagerComme d’autres secteurs de production artisanale (maraichage, boulangerie) le lait cru est mis à mal par sept ou huit grands groupes internationaux qui achètent le lait en dessous du prix de production à un secteur agricole exsangue pour fabriquer de la poudre de lait qui se stocke et se transporte plus aisément, quand ce n’est pas pour démonter le lait en pièces détachées (protéines, matières grasses,…) pour le revendre dans des secteurs étonnants (boucherie, cosmétique,…). Ce résidu blanc issu de l’industrialisation du lait, n’est plus du lait, mais on le vend comme tel en briquettes dans les grandes surfaces, ce qui déclenche aujourd’hui chez plusieurs consommateurs des intolérances ou des allergies.

Le lait cru, lui, est un produit vivant et riche qui contient des millions de germes bien nécessaires à notre flore intestinale et dans lequel on ne s’inquiète, au niveau des médias que de la présence de quelques pathogènes identifiés (salmonelle, listeria). Or, dans le lait cru, cette présence bactérienne est la plupart du temps neutralisée par une autodéfense du lait contre ces germes dérangeants qui prolifèrent aussi ailleurs, alors qu’on s’en inquiète moins (légumes de pleine terre, charcuterie, poisson…).

C’est donc pour moi un choix politique d’accompagner les producteurs du secteur et je suis très content d’avoir du temps à leur offrir durant cette prépension. Ce n’est pas d’abord pour moi ou pour eux les fromagers, mais pensons d’abord à nos petits-enfants. C’est un choix de société que de remplir correctement son assiette.

Qu’est-ce qu’il faut penser des contrôles sanitaires parfois si décriés?

Il en faut bien sûr. Mais aussi des contrôleurs raisonnables. Car développer une gestion du risque qui préfère perdre la richesse d’un lait cru en prétendant à la sécurité plus grande d’un lait pasteurisé est scientifiquement faux. Il est donc essentiel qu’une appréciation scientifique correcte de la situation soit partagée à la fois par le politique, les contrôleurs et les producteurs. Pour l’instant, l’agence de contrôle AFSCA joue cavalier seul en se revendiquant de la législation européenne, et cela fait peur aux consommateurs car on la voit s’attaquer sans grande nuance à des pratiques alimentaires de toujours comme la tarte au riz de Verviers ou le fromage de Herve pour ne citer qu’eux. Par des contacts nombreux avec les fromagers, je mesure l’embarras, pour ne pas dire plus, dans lequel ils sont quand un contrôleur débarque! Heureusement, en ce qui me concerne, je ne produis du fromage que pour mon cercle familial.

Dans cette aventure, quel est votre plaisir essentiel?

C’est de trouver ma place dans le cycle de la vie.

Pour ceux qui font un potager, c’est le cycle des saisons avec l’ensemencement, la culture et la récolte. Pour les boulangers, c’est le cycle du grain au pain. Dans ma jeunesse, j’ai fait du vin de fruit et c’est aussi un processus de culture. Je retrouve cette sensation dans la fabrication du fromage en mesurant tout le parcours qui va de l’alimentation du bétail qui produit le lait jusqu’au fromage issu de cette longue et minutieuse transformation fromagère. Et donc le plaisir, c’est ensuite de partager ces fromages avec mon entourage comme on partage une connaissance et l’émerveillement de s’être nourri les uns les autres.

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